À la sortie
d’une rencontre tendue avec la Première ministre ce jeudi 5 septembre 2024 à la
Primature, le président du Conseil supérieur de la magistrature a levé le voile
sur un conflit qui couve depuis plusieurs semaines. « Nous lui avons déposé le
PV de notre réunion d'hier », a-t-il révélé, marquant un acte de défiance à
peine voilé contre la décision controversée du ministre de la Justice. Cette
décision interdit aux magistrats de transférer des suspects en prison, une
mesure qui a jeté de l’huile sur le feu et déclenché un bras de fer inédit
entre la justice et l’exécutif.
Dieudonné
Kamuleta, président de la Cour constitutionnelle et visage de la rébellion
silencieuse des magistrats, plaide pour un retour à la raison. « Ne nous
mettons pas dans une approche de confrontation. Nous voulons voir comment
ensemble faire avancer la chose publique », a-t-il déclaré, tentant d’adoucir
le ton sans pour autant céder sur l’essentiel : l’indépendance et la dignité du
pouvoir judiciaire. Mais est-ce vraiment une question de collaboration ou un
simple jeu de pouvoir dans lequel chacun tire la couverture à soi ?
Une
crise à double visage
Les avis
divergent sur cette crise qui n’en finit pas de secouer la République. Pour Me
Jean-Paul Mukolo Nkokesha, procureur général près de la Cour constitutionnelle,
l’affaire est simple : « Il s’agit de préserver la séparation des pouvoirs.
Nous ne pouvons pas accepter que l’exécutif piétine les prérogatives de la
justice en imposant des directives qui violent l’État de droit. » Pour lui, la
décision du ministre n’est rien d’autre qu’une tentative déguisée de museler la
justice, et les magistrats ne peuvent pas se laisser dicter la conduite à
tenir.
De l’autre côté,
une voix discordante se fait entendre, celle de Maître Théo Mavambu, un expert
juridique proche des cercles du pouvoir exécutif. Selon lui, « le ministre de
la Justice n’a fait qu’exercer ses prérogatives pour éviter les abus dans le
système carcéral déjà surchargé. Il ne s’agit pas d’un affront à la
magistrature mais d’une gestion de crise qui demande une approche pragmatique.
Les magistrats doivent comprendre qu’il ne s’agit pas ici d’une question de
fierté mais de gouvernance et de sécurité publique. »
Quand
la confrontation devient l’enjeu de tous
Au-delà de ce
duel d’experts, la question reste entière : jusqu’où ira ce bras de fer entre
les magistrats et le ministre ? Dieudonné Kamuleta, dans une tentative de
désamorcer la crise, martèle que « toutes les institutions congolaises sont
concernées par la bonne marche de notre pays. Nous sommes obligés de collaborer
parce que, tous, nous appartenons aux institutions du pays ». Il appelle à une
union sacrée, mais ses paroles sonnent comme un vœu pieux face à l’ampleur des
divergences.
Le président du
Conseil supérieur de la magistrature affirme que « le pouvoir judiciaire doit
rester en permanence en contact avec les autres pouvoirs », mais l’ombre de la
confrontation plane. La promesse de « réaliser la vision du Chef de l'État »
pourrait-elle suffire à colmater les brèches d’un système ébranlé par les
conflits de pouvoir ? Pour le moment, rien n’est moins sûr.
Une
coopération nécessaire ou une lutte pour la survie ?
La situation
actuelle révèle les failles profondes de notre système de gouvernance. Ce qui
pourrait passer pour une querelle d’interprétation juridique est en réalité un
symptôme d’une maladie bien plus grave : celle de l’absence de confiance et de
collaboration sincère entre les institutions. Si le discours de Kamuleta
appelle à la coopération, les faits montrent que cette harmonie reste encore à
construire. Ce n’est pas simplement une affaire de magistrats en colère contre
un ministre. C’est l’illustration d’une bataille pour l’indépendance et
l’intégrité des institutions dans un pays où le pouvoir a trop souvent tenté de
contrôler ce qui ne devrait pas l’être.
Le chemin vers
une solution passera par un dialogue sincère, mais aussi par le respect mutuel
des prérogatives de chacun. Ce bras de fer est une opportunité de redéfinir les
règles du jeu démocratique en RDC. Car au-delà des divergences, l’intérêt
supérieur de la nation doit primer. Saurons-nous, cette fois, saisir cette
occasion ?
Par
Lukeni Fwamba Donatien