Le
régime militaire guinéen a décidé de faire un grand ménage dans la politique du
pays, élevant la question de la régularisation des partis politiques à l’ordre
du jour. La dissolution de cinquante formations et la mise sous observation de
nombreuses autres ont de quoi agiter les débats. Mais que faut-il vraiment en
penser ? Faut-il applaudir l’assainissement du paysage politique ou y voir une
nouvelle tentative de musellement des voix discordantes ?
D’un
côté, Anera Kaké, le président du Front National pour le Développement (FND),
est catégorique : *"Il n’est pas question que des forces extérieures
imposent leurs vues sur les partis politiques et encore moins que les
responsables du régime fassent une évaluation à leur guise."* Pour lui,
cette évaluation est loin d’être un processus transparent et républicain.
L’argument de la régularisation, selon Kaké, masque mal un objectif plus
sombre, celui de réduire au silence les opposants et de contrôler les structures
politiques à leur bon vouloir. Kaké voit dans cette démarche un danger pour la
démocratie, qui se résume à un diktat militaire habillé sous des airs de
réforme.
Mais
l’argument de l’« assainissement » a trouvé des partisans. Ibrahim Khalil
Condé, ministre de l’Administration du Territoire, ne manque pas de vanter
cette évaluation, affirmant qu’elle visait à faire en sorte que les partis
politiques en Guinée soient véritablement des organisations à but politique et
non des entreprises personnelles où les chefs font ce qu’ils veulent sans
contrôle. C’est une sorte de “nettoyage” pour garantir que seules les
formations respectant les règles de la loi organisent réellement la vie
politique du pays. Il estime que ce processus est une chance de redéfinir le
paysage politique guinéen en éliminant les "fantômes" qui n’ont
aucune représentativité, qui ne font pas le travail politique et qui, selon
lui, ne sont là que pour faire de l'ombre à ceux qui font véritablement bouger
les choses.
Mais
quand on examine les faits de plus près, on ne peut s'empêcher de se poser la
question : *"Assainir" ou *"éliminer"* ? En effet, si l'on
se réfère aux 900 pages de l'évaluation rendue publique, il est difficile de ne
pas voir une stratégie un peu trop ciblée, surtout à l’approche des élections
de 2025. Selon l’analyste politique Kabiné Fofana, la situation est plus
nuancée : *"Le but n’est pas de liquider l’opposition, mais de dresser un fichier
propre des partis politiques, ce qui pourrait redynamiser le champ politique.
Cependant, il aurait été plus judicieux d’adopter une approche plus pédagogique
afin que ce ne soit pas perçu comme une chasse aux sorcières."* Une
méthode plus douce aurait peut-être permis de ne pas empirer les tensions
existantes, d’autant plus que certains partis historiques se retrouvent eux
aussi dans la ligne de mire du régime militaire, notamment l’UDG, le RPG et
l’UFR, accusés de ne pas respecter la législation sur les cotisations ou les
congrès.
Que
reste-t-il alors du débat ? Si l’objectif était véritablement d’assainir la
politique, pourquoi tant de précipitation, de mesures drastiques et surtout un
timing si délicat, avec les élections qui se profilent à l’horizon ? N’est-ce
pas là l’occasion rêvée pour réduire l’opposition à néant ? Les partis dissous
ou en observation ont jusqu’à trois mois pour se régulariser, ce qui semble
bien court pour un véritable travail de fond. Et même ceux qui tenteront de se
conformer risquent de se retrouver acculés face à des autorités qui, selon
certains observateurs, sont déjà juges et parties dans cette affaire.
Le
principe de transparence et de réformes nécessaires est, en soi, indiscutable.
Mais peut-on réellement croire qu’il s’agit là d’une simple régulation
démocratique ? Ou sommes-nous témoins d’un jeu de pouvoir bien orchestré pour
éviter que les élections de 2025 ne révèlent une opposition forte et organisée
?
Le
fait que certains des partis suspendus ou dissous aient des décennies de
présence sur la scène politique ne joue pas en faveur de la thèse d’une
régularisation neutre. Cette purge pourrait bien redéfinir la carte politique
du pays, mais est-elle l’expression d’un désir sincère de réformes ou d’une
volonté de répression sous couvert de réorganisation ?
Les
experts, les observateurs et les citoyens guinéens devront être vigilants. La
situation pourrait rapidement se transformer en une guerre d’usure entre ceux
qui veulent réformer à tout prix et ceux qui, dans l’ombre, manipulent le
processus pour imposer une "paix politique" à la manière d’un régime
autoritaire qui se veut progressiste. À moins qu’une autre dynamique ne vienne
réécrire ce scénario… mais cela, seul l’avenir nous le dira.
Par Ngolo Mohindo Graciousé