Le Musellement ou l’Assainissement : Quand la Guinée Improvise Son Paysage Politique

Date: 2024-10-30
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Le régime militaire guinéen a décidé de faire un grand ménage dans la politique du pays, élevant la question de la régularisation des partis politiques à l’ordre du jour. La dissolution de cinquante formations et la mise sous observation de nombreuses autres ont de quoi agiter les débats. Mais que faut-il vraiment en penser ? Faut-il applaudir l’assainissement du paysage politique ou y voir une nouvelle tentative de musellement des voix discordantes ?

 

D’un côté, Anera Kaké, le président du Front National pour le Développement (FND), est catégorique : *"Il n’est pas question que des forces extérieures imposent leurs vues sur les partis politiques et encore moins que les responsables du régime fassent une évaluation à leur guise."* Pour lui, cette évaluation est loin d’être un processus transparent et républicain. L’argument de la régularisation, selon Kaké, masque mal un objectif plus sombre, celui de réduire au silence les opposants et de contrôler les structures politiques à leur bon vouloir. Kaké voit dans cette démarche un danger pour la démocratie, qui se résume à un diktat militaire habillé sous des airs de réforme.

 

Mais l’argument de l’« assainissement » a trouvé des partisans. Ibrahim Khalil Condé, ministre de l’Administration du Territoire, ne manque pas de vanter cette évaluation, affirmant qu’elle visait à faire en sorte que les partis politiques en Guinée soient véritablement des organisations à but politique et non des entreprises personnelles où les chefs font ce qu’ils veulent sans contrôle. C’est une sorte de “nettoyage” pour garantir que seules les formations respectant les règles de la loi organisent réellement la vie politique du pays. Il estime que ce processus est une chance de redéfinir le paysage politique guinéen en éliminant les "fantômes" qui n’ont aucune représentativité, qui ne font pas le travail politique et qui, selon lui, ne sont là que pour faire de l'ombre à ceux qui font véritablement bouger les choses.

 

Mais quand on examine les faits de plus près, on ne peut s'empêcher de se poser la question : *"Assainir" ou *"éliminer"* ? En effet, si l'on se réfère aux 900 pages de l'évaluation rendue publique, il est difficile de ne pas voir une stratégie un peu trop ciblée, surtout à l’approche des élections de 2025. Selon l’analyste politique Kabiné Fofana, la situation est plus nuancée : *"Le but n’est pas de liquider l’opposition, mais de dresser un fichier propre des partis politiques, ce qui pourrait redynamiser le champ politique. Cependant, il aurait été plus judicieux d’adopter une approche plus pédagogique afin que ce ne soit pas perçu comme une chasse aux sorcières."* Une méthode plus douce aurait peut-être permis de ne pas empirer les tensions existantes, d’autant plus que certains partis historiques se retrouvent eux aussi dans la ligne de mire du régime militaire, notamment l’UDG, le RPG et l’UFR, accusés de ne pas respecter la législation sur les cotisations ou les congrès.

 

Que reste-t-il alors du débat ? Si l’objectif était véritablement d’assainir la politique, pourquoi tant de précipitation, de mesures drastiques et surtout un timing si délicat, avec les élections qui se profilent à l’horizon ? N’est-ce pas là l’occasion rêvée pour réduire l’opposition à néant ? Les partis dissous ou en observation ont jusqu’à trois mois pour se régulariser, ce qui semble bien court pour un véritable travail de fond. Et même ceux qui tenteront de se conformer risquent de se retrouver acculés face à des autorités qui, selon certains observateurs, sont déjà juges et parties dans cette affaire.

 

Le principe de transparence et de réformes nécessaires est, en soi, indiscutable. Mais peut-on réellement croire qu’il s’agit là d’une simple régulation démocratique ? Ou sommes-nous témoins d’un jeu de pouvoir bien orchestré pour éviter que les élections de 2025 ne révèlent une opposition forte et organisée ?

 

Le fait que certains des partis suspendus ou dissous aient des décennies de présence sur la scène politique ne joue pas en faveur de la thèse d’une régularisation neutre. Cette purge pourrait bien redéfinir la carte politique du pays, mais est-elle l’expression d’un désir sincère de réformes ou d’une volonté de répression sous couvert de réorganisation ?

 

Les experts, les observateurs et les citoyens guinéens devront être vigilants. La situation pourrait rapidement se transformer en une guerre d’usure entre ceux qui veulent réformer à tout prix et ceux qui, dans l’ombre, manipulent le processus pour imposer une "paix politique" à la manière d’un régime autoritaire qui se veut progressiste. À moins qu’une autre dynamique ne vienne réécrire ce scénario… mais cela, seul l’avenir nous le dira.

 

Par Ngolo Mohindo Graciousé

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